Prima Materia, diplômé·es des Beaux Arts Nantes 2023
Exposition du 23.09 au 14.10.2023
Exposition événement de la rentrée, Prima Materia met à l’honneur 45 jeunes artistes tout juste diplômé·es des Beaux-Arts de Nantes, invité·es à exposer leurs derniers travaux dans 4 galeries et centres d’art nantais : Sabrina Lucas, Paradise, RDV et Zoo. Un élan artistique pensé dans la démarche de professionnalisation portée par l’École, qui a souhait d’accompagner les jeunes artistes dans leur insertion professionnelle.
Zoo présente les travaux de 10 artistes fraîchement diplômé·es de l’École des Beaux-Arts de Nantes St Nazaire en 2023. Cette sélection opérée par son directeur artistique Patrice Joly et sa directrice adjointe Mya Finbow s’est orientée sur un ensemble d’œuvres traversé par le suintement d’un air liquide post-apocalyptique.
Une grande sculpture colorée et lumineuse de Shanelle Leroy sortie des contes de fées ou d’un cauchemar accueille ou plutôt cueille le public. Réalisée en plâtre, verre soufflé et céramique, BABYZON V3560, que l’artiste décrit comme « machine nuptiale », se présente comme une espèce de main, mi-animale, mi-végétale, dont les extrémités ressemblent plus à des griffes. Se love en sa paume, un « baby » branché sous perfusion. Si une certaine parenté avec les œuvres surréalistes de Louise Bourgeois peut être perçue, l’œuvre de Shanelle Leroy nous transporte plutôt dans l’univers de la Dark Fantasy où toutes sortes de manipulations scientifiques baroques viendraient modifier l’espèce humaine.
La peinture d’Emile Chalumeau intitulée Le chien bleu semble veiller sur les œuvres voisines. Au premier regard, nous pouvons voir cette représentation comme celle d’un animal hybridé par l’homme ou d’un animal mutant de l’anthropocène. Elle pourrait rejoindre une longue liste de peintures animalières symbolistes d’un Gauguin ou d’un Franz Marc. Mais ce chien errant est en fait un mutant, pollué par les produits chimiques rejetés par une usine de Bombay, que l’artiste a extrait d’une vidéo virale. La peinture vient éterniser un fait divers pour en accentuer son caractère pathétique et scandaleux. Du symbolisme perçu initialement nous comprenons la portée politique de l’oeuvre et si un certain onirisme s’immisce dans l’œuvre d’Emile Chalumeau nous devons prendre en compte, pour lui être fidèle, les propos de l’artiste lorsqu’il affirme : « Le chien bleu s’appelle Émile. Le chien bleu est mon alter ego qui me regarde ». La peinture comme autoportrait.
Du terrestre nous plongeons virtuellement sous la mer avec l’œuvre de Tangui Le Boubennec. Sa sculpture L’ancre de l’amour placée dans un angle ne manque pas d’humour pour qui connaît les termes techniques pour décrire le mouillage. Son anthropomorphisme se révèle à la fois dans la mollesse du matériau utilisé et dans la déformation de la verge de l’ancre qui se courbe dans un phallisme contrit. La présence symbolique d’un cœur évidé au sommet de l’œuvre fait retour vers le féminin, à la naissance de Vénus.
Retour sur terre avec les œuvres de Titi M. Cerina, œuvres sculpturales tranchantes en acier dont la mise en exposition vient perturber le white cube pour plonger le·a spectateur·rice dans une dark room inquiétante. Ses Ophrys métalliques, comme Even the moon is shadowed, évoquent l’alliance inter-espèce propre à l’orchidée, cette fleur jugée par les hommes comme séductrice et dangereuse, dont la forme fonctionnerait comme un leurre pour la guêpe. Par analogie, l’artiste nous métamorphoserait alors en insecte séduit par son œuvre éco-queer.
Pour Wen-Che Lin, le monde devient virtuel. Sa série de vidéos nous met en présence d’un humanoïde. Dans H_01, ce personnage semble observer ou espionner l’espace d’exposition et ses visiteur·euses. La présence d’une respiration dyspnéique dans la bande-son crépusculaire vient renforcer notre sensation d’assister à la naissance d’un homme post-apocalyptique. Les univers des deux autres vidéos H_02 et H_03 sont cependant différents ; l’un aérien, l’autre aquatique. Ces mises en scène, ainsi que l’utilisation de l’outil informatique et de l’animation 3D, accentuent l’effet de déshumanisation. L’œuvre de Wen-Che Lin témoigne, dans notre société de contrôle, de l’anxiété contemporaine propre à la période post-COVID.
La vidéo Maison rouge de l’artiste Yuheng Qiu est plus contemplative. Au début du film, un plan en travelling semble chercher une proie dans une mégalopole, la nuit, puis un long plan fixe trouve enfin sa cible : un immeuble qu’on devine difficilement. L’attente s’installe, attente d’un évènement jusqu’à ce qu’une lumière vienne rompre l’organisation géométrique des points rouges lumineux de la façade. Un clignotement d’une lumière polychrome issu d’un des appartements crée un évènement nouveau engageant le spectateur·ice dans des spéculations narratives. Hasard ou mise en scène par l’artiste ? Le mystère reste entier.
Au sol, le duo Pauline Millet et Morgane Fontaine propose une installation. L’œuvre Cryptozoïque s’origine dans le roman de science-fiction éponyme de Brian Aldiss. Réalisée avec de la cendre d’où émergent des sculptures en céramique aux formes végétales non-mimétiques avec celles connues sur Terre, elle prend une forme lunaire en croissant et convoque ainsi un ailleurs cosmique troublant.
L’œuvre Les fruits rouges proposée par Coline Gillet-Bataille ré-humanise l’exposition. Elle n’en demeure pas moins inquiétante. Ce triptyque est composé d’une photographie prise lors d’une performance, représente le visage de l’artiste barbouillé de rouge, accompagnée d’un débardeur taché et d’un cartel mi-poétique, mi-didactique. Il nous entraîne dans une fiction cannibale même si l’artiste nous invite à y voir une parodie de films pornographiques. Cette œuvre s’apparente à ces œuvres-documentaires propres à l’art de la performance et fait écho aux pratiques des actionnistes viennois ou encore à Gina Pane.
En guise d’apothéose, l’œuvre To The Chaosphere d’Alix Bugat s’impose au spectateur·ice comme une œuvre ésotérique teintée de baroquisme aux connotations spirituelles et religieuses. L’artiste magicienne nous invite à pratiquer une nouvelle forme de rituel, Chaos Magick, afin de passer d’un état d’inhibition à un état d’excitation pour modeler la réalité à notre guise. Les préoccupations d’Alix Bugat rejoignent celles d’une lignée d’artistes du XXème, Joseph Beuys pétri de théosophie, le rosicrucien Yves Klein ou encore James Lee Byars. L’œuvre chamaniste d’Alix Bugat nous entraîne irrésistiblement vers des mondes incompossibles.
Écrit par Philippe Szechter,
Président de l’association Zoo.
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